Comme bien des héros de romans noirs, l’inspecteur John Rebus n’est pas aussi blasé qu’il veut le faire croire. La croûte est dure, certes, mais l’âme sensible. Le malheur des autres l’accable, l’injustice sociale le désespère.
Quant à la Justice, c’est simple, il n’y croit plus.
Est-ce le propre de ceux dont les doutes et la lucidité ne cessent de plaquer les rêves au sol ? La nuit, il s’abandonne à la lecture de Dostoïevski, sur fond de pop millésimée 70 et de fumée de cigarettes. Ou bien il arpente son double, Edimbourg. Ville au sombre romantisme, secrète, tourmentée. L’endroit idéal pour cultiver ses idées noires et ployer sous le poids d’une culpabilité qui, étrangement, forge un point commun aux principaux personnages de ce roman.
Flic obstiné, Rebus va toujours au bout de ce qu’il entreprend. Au diable les états d’âme de sa hiérarchie ! Le voilà sur la piste d’un pédophile bientôt jeté par sa faute à la vindicte populaire. Dans le même temps, il enquête sur la mystérieuse disparition du fils d’une ancienne [et troublante…] amie, tandis qu’un tueur en série débarqué des Etats-Unis joue avec ses nerfs, le provoque, menace ses proches.
Ian Rankin appartient à l’école dite "réaliste" : on suit pas à pas Rebus, on partage ses doutes, ses intuitions, ses égarements. De quoi lui donner authenticité et humanité. D’aucuns pourront reprocher à l’auteur de multiplier des intrigues au risque de perdre le lecteur en route. Elles ont pourtant leur raison d’être, tissant une toile d’araignée dont on tremble que Rebus n’en soit la principale victime.
Ce n’est pas pour rien que James Ellroy a décerné à Ian Rankin le titre de "Maître du roman noir écossais". Le suspens est impeccable, l’écriture diablement efficace. Difficile de lâcher "La mort dans l’âme" avant la fin !
Extrait : "Innocenté… Il pensa à Darren Rough, bouclé à double tour dans les toilettes, tremblant de peur. Simplement parce que les services sociaux avaient eu le mauvais goût de le loger au-dessus d’un jardin de jeux. Et parce que John Rebus avait collé sur les épaules de Rough les péchés des autres. Les péchés des hommes qui avaient eux-mêmes maltraité Rough. Rebus se frotta les yeux. Il n’était pas rare qu’il sente peser sur lui le poids de la faute. Il portait en lui la mort de Jack Morton. Mais quelque chose avait changé. Dans le passé, Darren Rough ne l’aurait guère préoccupé. Il se serait dit que Rough méritait son sort du simple fait qu’il était ce qu’il était. Mais si on remontait plus loin… si on remontait au flic qu’il avait été dans ses débuts, il n’aurait jamais livré Rough aux torchons de la presse. Peut-être que Mairie Henderson avait raison : quelque chose déconnait chez lui."
Article écrit par Isabelle Bauer [octobre 2006].
Autres articles :
"La Bouffe est chouette a Fatchakulla", de Ned Crabb, Gallimard Série Noire [réédition].
"La Sagesse d'une Femme de Radio", de Kriss, L'il neuf/France Inter.
"À bonne école" de Muriel Spark, Gallimard.
"Gone, baby, gone" de Denis Lehane, Rivages/Noir.
"Léo Malet ". Nestor Burma, "l'homme qui met le mystère K.O.".
"Dans les bois éternels" de Fred Vargas, ed. V. Hamy.
"Le Dahlia Noir", de James Ellroy, Rivages/Noir.
"L’affaire du Dahlia noir / Complément d'enquête", de Steve Hodel, Seuil/Points policier.