Pas un mot, pas une ligne. Le dixième anniversaire de la mort de Léo Malet, survenue le 3 mars 1996 à un pas de ses 87 ans, n’aura soulevé rien d’autre qu’une indifférence médiatique.
Léo qui ? Léon Malet précisément, "père" du détective Nestor Burma et précurseur du roman noir à la française, mélange d’humour, de lyrisme et de réflexions sur notre société.
On dit que les écrivains glissent des pans de leur vie dans leurs romans. C’est vrai pour Léo Malet. Ses passions, ses curiosités, ses rencontres sont dans son œuvre. Certes, il ne fut pas détective [l’un des rares métiers qu’il n’aura pas fait !], mais Nestor Burma est à son image : râleur, gouailleur, anarchiste, désabusé, infatigable piéton parisien, poète surréaliste, un brin raciste aussi, hélas. Rajoutons un galurin et une pipe, voilà le personnage quasi-conforme à son modèle.
Le petit gars de Montpellier
Malet, c’est l’histoire d’un petit gars de Montpellier, unique survivant d’une famille décimée par la tuberculose, élevé par un grand-père tonnelier qui aimait les livres.
En 1925, à 16 ans, il débarque à Paris avec trois sous en poche et un rêve : devenir chansonnier. Il chante en effet, au cabaret "La Vache enragée" de la Butte Montmartre [il en fera le titre de son autobiographie, publiée en 1988]. Mais comme il faut bien vivre, il multiplie les petits boulots : employé, ouvrier d’usine, figurant de cinéma [on l’aperçoit dans "Quai des Brumes"], emballeur chez Hachette, gérant de magasin de mode, laveur de bouteilles, journaliste, crieur de journaux, téléphoniste…
À son arrivée à Paris, Malet est hébergé par un groupe d’anarchistes tenant un foyer végétalien à Tolbiac [voir "Brouillard au Pont de Tolbiac"], dont il épouse la cause.
Premier tournant important dans sa vie. Le deuxième eut lieu lorsqu’un jour, transportant un bidet, il passe devant la devanture de la librairie Corti, où trône le Manifeste Surréaliste. Coup de foudre pour ce mouvement littéraire majeur. Il fréquente alors Breton, Tanguy, Dali [qui deviendra un ami et lui confiera ses mélancolies]. C’est ainsi qu’il entre en littérature, par la poésie surréaliste et un recueil au titre provocant : "Ne pas voir plus loin que le bout de son sexe".
Le "personnage" central de l’œuvre de Léo Malet c'est Paris.
Pendant la guerre, il est arrêté pour ses idées politiques et emprisonné quelques mois dans un Stalag, près de Brême. Là prennent naissance Nestor Burma et sa première aventure "120, rue de la Gare" [1943], polar qui sera porté à l'écran dès 1945 par Jacques Daniel-Norman, avec René Dary dans le rôle de Burma et Sophie Desmarets. Sept autres suivront. Léo Malet entame dans le même temps sa Trilogie Noire avec "La Vie est dégueulasse" [1948]. 1954 marque le début d’un projet particulièrement ambitieux : écrire 20 romans situés chacun dans un arrondissement de Paris, avec Nestor pour narrateur. Ce seront "Les Nouveaux Mystères de Paris", qu’il n’achèvera pas, dégoûté par la spéculation immobilière qui défigure la capitale.
Après Burma, le "personnage" central de l’œuvre de Malet est incontestablement Paris. Celui des quartiers à taille humaine, labyrinthiques et souvent sordides, que l’on découvre à travers les yeux du détective. Une ville aussi bien marquée par l’injustice sociale que truffée de références historiques et culturelles.
Ainsi, même si l’on peut trouver ses intrigues et son style un peu faibles quelques fois, Malet vaut largement le détour pour sa peinture socio-urbaine des années 40-50 animée par un détective passé au rang de mythe . Un charme éternel.
Article écrit par Isabelle Bauer [Avril 2006].
Les indispensables :
• "Brouillard au Pont de Tolbiac" [chef d’œuvre],
"Les Rats de Montsouris",
"120, rue de la Gare",
"La Vie est dégueulasse" [diverses éditions de poche].
• L’éditeur Robert Laffont réédite à l’occasion du 10e anniversaire de la mort de Léo Malet ses œuvres intégrales dans la collection "Bouquins". Le tome 1, intitulé "Premières enquêtes", vient de paraître.
• Certains titres, dont "Brouillard au Pont de Tolbiac", "120, rue de la Gare", "Casse-Pipe à la Nation", "Une gueule de bois en plomb", "M’as-tu vu en cadavre ?" ont été illustrés par Tardi [Casterman].
Brouillard au pont de Tolbiac |
120, rue de la Gare |
Casse-Pipe à la Nation |
Une gueule de bois en plomb |
M’as-tu vu en cadavre ? |
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Autres articles :
"La Bouffe est chouette a Fatchakulla", de Ned Crabb, Gallimard Série Noire [réédition].
"La Sagesse d'une Femme de Radio", de Kriss, L'il neuf/France Inter.
"À bonne école" de Muriel Spark, Gallimard.
"Gone, baby, gone" de Denis Lehane, Rivages/Noir.
"La mort dans l’âme" de Ian Rankin, Folio policier.
"Dans les bois éternels" de Fred Vargas, ed. V. Hamy.
"Le Dahlia Noir", de James Ellroy, Rivages/Noir.
"L’affaire du Dahlia noir / Complément d'enquête", de Steve Hodel, Seuil/Points policier.